Anxiogenèse est une exposition virtuelle faisant partie de mon mémoire de maîtrise en sciences de la communication (recherche-création), Passages et connexions : adapter artistiquement et médiatiquement les témoignages de personnes vivant avec un trouble anxieux.
Le projet explore comment des témoignages de personnes vivant avec un trouble anxieux peuvent être adaptés sous forme artistique, dans l'objectif de communiquer autrement l'expérience de ce trouble (et, par la même occasion, la rendre visible). Dans cet objectif, j'ai collecté deux témoignages de personnes vivant avec un trouble anxieux, puis ai proposé à deux artistes d’adapter artistiquement ces témoignages. La recherche a permis à la fois d’analyser le passage, la « traduction artistique », entre l’expérience vécue et l’œuvre d’art, mais aussi d’investiguer la façon dont les artistes et les personnes ayant offert leur témoignage vivent ce processus. Enfin, dans l'esprit de la recherche-création, le projet propose de partager à un grand public, par le biais du web – plus précisément, d'une exposition virtuelle –, les témoignages, les créations et le savoir résultant de cet échange.
Comme évoqué en introduction d'exposition, le titre Anxiogenèse représente à la fois l’idée de la naissance de l’anxiété, un sujet dont traitaient les entretiens avec les participantes, et l’idée de ce qui peut être généré, créé à partir de l’expérience de l’anxiété.
Le projet a été réalisé sous la supervision d'Aleksandra Kaminska (professeure adjointe au département de communication de l'Université de Montréal), que je remercie pour son précieux appui tout au long du projet.
Je remercie chaleureusement Rosa et Amélie, qui ont généreusement offert leur récit dans le cadre de cette expérience, ainsi qu'Alexandre et Clara, qui ont entrepris avec brio de créer les adaptations artistiques de leur témoignage.
- Aurélie Boucher
Alexandre Béland est un artiste « touche-à-tout », mais qui a un penchant pour la photo. Il s’agit, parmi les médiums qu’il pratique, celui qu’il comprend le mieux, explique-t-il, et celui qui lui permet le mieux de réfléchir. Il travaille généralement de façon hybride, en captant avec un appareil argentique, puis en retravaillant ses images de façon numérique. Il a une prédilection pour la photographie en extérieur et pour les lieux abandonnés, les friches industrielles.
Clara Laflamme pratique la danse depuis son tout jeune âge. Si elle a valsé avec plusieurs styles au cours de sa vie, elle pratique aujourd’hui surtout la danse contemporaine. En plus de sa pratique personnelle, elle enseigne également plusieurs styles de danse et prend part annuellement à des compétitions. Ce sport et cet art est, pour elle, « la meilleure façon [qu’elle a] de s’exprimer ».
Dans ma quête d’une identité visuelle à donner au site web, j’ai beaucoup réfléchi aux représentations visuelles des enjeux de santé mentale. Travaillant comme agente de communication pour un site web de services en santé mentale et mieux-être, j’ai souvent eu à sélectionner des images pour illustrer le contenu du site. Une problématique que moi et mes collègues avons observée de façon récurrente en effectuant ce genre de tâche est la variété limitée de représentations qu’offrent les banques d’image (stock images) lorsqu’il est question de santé mentale. Les photos associées à cette thématique dans ces banques peuvent souvent être littérales ou avoir un caractère « kitsch » (p.ex. une femme pensive regardant l’horizon; un jeune homme au téléphone, l’air bouleversé; une famille heureuse qui marche dans la nature; etc.). En ce sens, les banques d’images offrent souvent un imaginaire visuel limité ou répétitif en matière de santé mentale.
J’ai donc fait le choix d’employer ou de développer des images plus abstraites ou métaphoriques pour habiller l’exposition. De plus, le contexte du projet (dont la vocation est artistique) rendait aisé cet éloignement des représentations visuelles classiques ou utilitaires. Enfin, un des avantages de ce choix est la création d’une distance entre le « contenant » de l’exposition et son contenu, ce qui permet de mettre ce dernier en valeur, tout en offrant un niveau de lecture figuré en arrière-plan.
Au cours du projet, l'arbre est fortuitement devenu un motif récurrent. Pour Rosa, les arbres sont une inspiration, un symbole d'énergie spirituelle. Dans l’œuvre d'Alexandre, les branches nues de l'arbre sont le bagage que nous transportons en tant qu'êtres humains, l'arrière-plan de notre expérience. Pour Amélie, l'anxiété peut être décrite comme un arbre, une entité tentaculaire dont les branches représentent des angoisses qui donnent naissance à de nouvelles branches, de nouvelles angoisses.
Un arbre, c'est aussi un réseau d'échange : et c'est ce que ce projet est devenu, d'une certaine façon, en créant des connexions entre des personnes, dont la plupart ne se sont pourtant jamais rencontrées. Placé au milieu d'un œil, l'arbre symbolise également comment la réalité des troubles anxieux peut devenir visible. Accessoirement, les branches de l'arbre sont aussi tracées de façon à évoquer des silhouettes humaines.
Enfin, en raison de la pandémie de COVID-19, durant laquelle le projet s'est en partie déroulé en 2020, quelques entrevues ont aussi été réalisées dans des parcs, où les arbres jouaient les figurants. Clara, par exemple, danse au milieu d'eux en performant Cercle.
Étant donné le caractère confidentiel de la participation au projet, il n’était pas possible d’afficher de photographies des participantes aux côtés de leur témoignage. Toutefois, associer un visage au récit permet d’ajouter à celui-ci une dimension humaine supplémentaire.
Voulant protéger l’identité de mes participantes, et inspirée par ma réflexion sur les photographies de banque d’images, j’ai choisi de tracer des portraits basés sur des photographies stock de personnes anonymes, mais qui partageaient certaines caractéristiques génériques des participantes. Les portraits ont été tracés numériquement, puis superposés à plusieurs couches d’images abstraites libres de droits, que j’ai jointes par divers modes de fusion. Ce processus ajoutait un décor un peu abstrait et fantaisiste aux portraits pour (encore une fois) créer une forme de distance esthétique avec le sujet.
Les images d'arrière-plan sont tirées de la collection photographique d'Anna Atkins (1799-1871), que certains considèrent comme l'une des premières femmes photographes. La botaniste britannique a étudié les algues et les a documentées par cyanotype, un processus photographique chimique photosensible tout juste découvert à l'époque. Son œuvre, Photographs of British Algae: Cyanotype Impressions (1843), dont on ne trouve aujourd’hui que quelques exemplaires à travers le monde, peut notamment être admirée en version numérique sur le site de la New York Public Library.
Le choix de ses œuvres pour ce projet repose notamment sur un parallèle entre un des objectifs du projet (rendre visible une réalité qui ne l’est pas nécessairement) et la photographie par cyanotype d’algues d’Atkins, qui met (littéralement) en lumière des végétaux qui vivent autrement dans l’obscurité aquatique, dans une certaine invisibilité. En plus de leur indéniable esthétisme, les œuvres d’Atkins évoquent aussi des arbres et leurs multiples ramifications, symboles récurrents au sein du projet.
Pour en savoir plus sur Anna Atkins:
Note à propos des textes : une partie de cette page est directement issue du mémoire écrit accompagnant l’exposition.